L’Écuyère (1882)
L’Écuyère est un roman de 301 pages, paru en avril 1882 chez Paul Ollendorff, dans la collection « Grand in-18° » à 3,50 francs, sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne, alias André Bertéra, pour qui Mirbeau a fait le nègre.
Une tragédie
Comme d’autres romans « nègres », il s’agit d’un roman-tragédie où, une fois dressé le piège où doit tomber l’héroïne, on peut frapper les trois coups et suivre l’enchaînement fatal des péripéties, jusqu’au dénouement sanglant. Dans L’Écuyère, le piège est double : d’un côté, il y a les effets pervers d’une éducation religieuse – luthérienne, en l’occurrence –, qui fixe un idéal de pureté inaccessible et mortifère ; de l’autre, la criminelle hypocrisie du « beau monde », particulièrement immonde, que l’héroïne est amenée à frayer, car, dans une époque de totale confusion des valeurs, où tout marche à rebours du bon sens et de la justice, les « saltimbanques » sont devenus les rois de l’époque et, « dans les cirques où ils trônent, ont une cour, comme autrefois les rois, composées de gentilshommes qui s’inclinent respectueusement devant leur souveraineté en maillot étoilé d’or ». Le point de départ a été suggéré à Mirbeau par une chronique de la série Paris déshabillé de 1880, « Miss Zaeo » (Le Gaulois, 15 août 1880), où il opposait l’image érotisée que les hommes (et aussi quelques femmes…) se font des écuyères et la rigueur des mœurs qu’elles sont obligées de préserver : « On imagine généralement que les écuyères, gymnastes et danseuses de corde mènent une existence déréglée, et qu’elles usent leurs forces et les banknotes des gentlemen dans l’énervement des cabinets particuliers. C’est une erreur, et, si la vertu disparaissait du théâtre, on la retrouverait certainement, à vingt mètres au-dessus du niveau de la mer, sur un trapèze, un fil ou une catapulte ».
L’écuyère du titre est une jeune et belle Finlandaise dotée d’un nom fort peu finnois, mais éminemment symbolique, Julia Forsell (for sale), qui rêve de « marcher entre les lis » et de préserver sa pureté et son indépendance, dont elle tire orgueil, jouissance et pouvoir. Elle représente la haute école, aristocratie du cirque, voire véritable aristocratie tout court. Malheureusement, parvenue au faîte de la célébrité et de la richesse, elle est d’autant plus pourchassée par les hommes du monde – et aussi par les femmes, qui lancent aux hommes un véritable défi pour la leur « reprendre » – qu’elle se refuse à eux, tout en les aiguillonnant par sa « mutinerie froide de gamine ». Elle est finalement victime d’un viol particulièrement sordide, perpétré en toute impunité par un « homme du monde », à la suite d’un pari auquel ont participé tous ces gens ignobles, qui n’en tiennent pas moins le haut du pavé (mais le viol proprement dit se réduit à une ligne de points, comme dans Sébastien Roch). Le viol de son corps, résultat de cette chasse ouverte, sera pour Julia une blessure mortelle, une honte ineffaçable, qui fera s’effondrer « cet édifice d’honneur » que la luthérienne finlandaise a savamment construit, et qui, à ses yeux, ne saurait se réparer. Le traumatisme subi empoisonne son existence, et, incapable, malgré l’amour qu’elle inspire à un honnête jeune homme, Gaston de Martigues, de supporter plus longtemps cette « souillure » qui gâche leur union, elle finit par se suicider d’une façon spectaculaire, dont se souviendra Alice Regnault, future épouse Mirbeau, dans un sien roman, Mademoiselle Pomme (1886) : mieux vaut la mort que le déshonneur, affirme-t-elle ainsi, prouvant qu’elle incarne seule le code de l’honneur trahi ignominieusement par la vieille aristocratie de naissance.
Une tragédie de l’amour
L’Écuyère est aussi une tragédie de l’amour, comme le seront également La Belle Madame Le Vassart, La Duchesse Ghislaine et Le Calvaire. D’abord, parce que, pour Mirbeau comme pour Schopenhauer, la femme a été prédestinée, par la Nature aux desseins impénétrables, à constituer le piège tendu aux hommes pour qu’ils consentent à perpétuer la vie, sans même en avoir conscience ; même si telle n’est pas du tout leur intention, elles ne sauraient donc manquer, comme Julia Forsell, d’allumer, de fasciner et d’obséder les pauvres mâles, qui s’énervent, s’enfièvrent, et s’empêtrent dans leurs filets. Ensuite, parce que, à ce malentendu originel entre hommes et femmes, s’ajoute l’inévitable confrontation de deux volontés et de deux amours-propres, dans le cadre d’une véritable guerre des sexes. Car ce sentiment qu’on appelle traditionnellement « l’amour » et qu’on a tendance à croire naïvement généreux et désintéressé, est en réalité dangereusement contaminé par l’amour-propre : entre la sculpturale gymnaste et le jeune et fortuné Gaston de Martigues, c’est un combat de longue haleine qui s’est engagé, où l’orgueil de chacun est arc-bouté sur son pré-carré. Julia est convaincue que payer son soupirant de son amour en échange de sa tendresse respectueuse, ce serait s’avouer vaincue, capituler honteusement, de sorte que, même « si l’amour sucrait sa servitude, elle n’en serait pas moins pour cela servitude». Quant au jeune homme, avant de l’emporter et de devenir le maître, du moins pour un temps, il se sent honteusement « possédé » par la « furieuse et maîtresse passion » qui le pousse irrésistiblement vers une femme qui l’humilie sans raison. Pour parachever le triste tableau de l’amour, cette permanente guerre des sexes est aggravée par « tout le mécanisme des lois sociales » et « tous les préjugés moraux » : les amoureux sont la cible des ragots des gens du « monde », d’une part, et se heurtent, d’autre part, aux droits de la « mère noble » du jeune homme, qu’ils ont eux-mêmes reconnus et intériorisés, se privant du même coup de tout moyen de les contester. Dès lors, tout est écrit et c’est en vain que Julia et Gaston tentent de résister aux forces coalisées de la Nature, qui les prend au piège de l’amour, et de la Société, qui, par la voix du chœur des mondains, se permet de les espionner impunément, de les juger et de les condamner en toute injustice. Désespérément ils se débattent contre cette double emprise, mais leur révolte est vouée à l’échec.
Pourriture et catharsis
Le viol de Julia est aussi l’expression cathartique d’un traumatisme de jeunesse : les probables violences sexuelles subies par le jeune Octave, peu avant d’être chassé du collège des jésuites de Vannes. Dans L’Écuyère, puis dans Sébastien Roch (1890), il tâche d’exorciser son passé et met en œuvre une poétique de la corruption, où l’aspiration à la pureté se heurte constamment à la souillure du milieu. Mais L’Écuyère permet aussi au romancier masqué de vomir toute la bile accumulée pendant toutes les années où il a frayé avec les gens de la haute et où, abaissé au rang de « prolétaire de lettres » (Les Grimaces, 15 décembre 1883), il a dû endurer moultes humiliations pendant une douzaine d’années. En même temps qu’un « vomitoire », la plume est aussi une arme au service de la vengeance, comme elle le sera entre les mains de Célestine, dans Le Journal d’une femme de chambre (1900) : le viol de Julia Forsell sert en effet de révélateur de la pourriture de tout un milieu, car il est le résultat d’un complot et l’œuvre collective du « monde », qu’il compare ici à un « loup dévorant ». C’est avec jubilation qu’il arrache les masques de respectabilité et dévoile « toute la saleté » et « toute la bassesse » de l’âme des riches.
Source : Dictionnaire Octave Mirbeau & Livre numérique : mirbeau-ecuyere
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