Les mauvais bergers (1897)
Les Mauvais bergers est un drame en cinq actes et en prose, créé le 14 décembre 1897 au théâtre de la Renaissance, par Sarah Bernhardt et Lucien Guitry, les deux plus grandes stars du théâtre de l’époque. Elle a paru en volume chez Fasquelle en mars 1898.
C’est une tragédie prolétarienne, sur un sujet proche de celui de Germinal. Tragédie, parce que, une fois posée la situation de départ, le dénouement sanglant est inscrit dans le rapport de forces initial entre les classes antagonistes. Prolétarienne, car l’action est située dans une région industrielle et met aux prises des ouvriers d’usine qui partent en grève et se confrontent à l’inflexibilité de leur patron, Hargand. Longtemps passifs et résignés, comme le vieux Thieux, qui vient de perdre sa femme et qui est lui-même usé et vieilli prématurément, ils se mettent en branle sous l’impulsion et la houlette d’un rouleur doté du nom symbolique de Jean Roule, bientôt suivi par la jeune Madeleine, fille de Thieux, qui tombe vite amoureuse du jeune étranger et si éloquent et si révolté. Jean Roule parvient à susciter une grève et par présenter toute une liste de revendications. Mais la grève s’éternise, parce que Hargand, encouragé par les autres industriels, refuse toute discussion. La faim commence à produire ses effets, la zizanie s’introduit parmi les ouvriers, Jean Roule est même mis en accusation pour avoir refusé le soutien des députés socialistes, et on s’apprête à lui faire un mauvais sort, lorsque Madeleine se dresse et, grâce à son éloquence soudaine, parvient à retourner la situation et à sauver son amant. Hargand fait appeler la troupe, qui tire sur les grévistes, comme à Fourmies le 1er mai 1891 : Jean Roule est tué, ainsi que Madeleine enceinte, et aussi le fils d’Hargand, Robert, jeune bourgeois idéaliste qui a en vain essayé de servir d’intermédiaire et qui a été rejeté aussi bien par Jean Roule que par son père et les autres industriels de la région.
Comme dans Germinal, la grève ouvrière est donc écrasée dans le sang. Mais, à la différence des dernières lignes du roman de Zola, qui laissent miroiter les germinations futures, le dénouement est totalement nihiliste et ne laisse subsister aucun espoir : car avec Madeleine meurt l’enfant de Jean Roule, qui aurait pu symboliquement incarner les promesses du futur. Cette absence totale de perspectives a soulevé la colère de Jean Jaurès, qui s’offusque de surcroît de la mise en accusation des députés socialistes, jugés par Jean Roule irresponsables et indifférents (« Effarant », titre-t-il son article). Et aussi l’incompréhension de l’anarchiste Jean Grave, pour qui, faute de la moindre lueur d’espoir, il ne resterait plus alors qu’à aller piquer une tête dans la Seine. Mais cela n’empêchera pas maints groupes anarchistes de la jouer et de la diffuser à travers l’Europe, notamment à Barcelone, Anvers et Berlin (dans une traduction de Gustav Landauer).
Comme Zola, Mirbeau fait alterner les actes situés dans les deux univers antagonistes et si radicalement étrangers l’un à l’autre. La misère et la dignité des uns contrastent éloquemment avec le luxe et la bonne conscience homicide des autres. Pour autant il refuse tout manichéisme : s’il est vrai qu’il peint des patrons odieux et stupides à l’acte II, leurs propos sont directement inspirés par l’enquête de Jules Huret sur la question sociale ; en revanche, le patron, Hargand, est humanisé, il souffre réellement, et il n’est ni ridicule, ni vraiment antipathique, malgré son intransigeance ; quant à Madeleine et Jean Roule, ce sont eux aussi des « mauvais bergers », puisqu’ils conduisent leurs frères à un sacrifice inutile, comme Mirbeau le reconnaît lui-même (« Un mot personnel », Le Journal, 19 décembre 1897), au risque de se faire de nouveau critiquer par Jean Grave, pour qui les anarchistes ne sont pas des bergers.
Quant à l’esthétique théâtrale mise en œuvre, elle est beaucoup plus proche du symbolisme que du naturalisme, et le cinquième acte se ressent de l’influence du cinquième acte de La Princesse Maleine, de Maurice Maeterlinck, que Mirbeau a lancé à grand fracas en août 1890. Mirbeau se détachera très vite de cette pièce aux dialogues souvent emphatiques – selon les exigences de Sarah Bernhardt ! –, et il souhaitera même la biffer de la liste de ses œuvres. Même si ce n’a pas été véritablement un échec, car il y a eu 38 représentations, et nombre d’articles dithyrambiques ont paru dans la presse, il a tout de même eu le sentiment d’avoir fait fausse route : ce n’est pas devant des mondains venus, en attendant le souper, éprouver des sensations fortes au spectacle de prolétaires massacrés et de la grande Sarah mourant dans les règles de l’art, qu’il faut proposer ce genre de pièce, mais au peuple lui-même, qui est encore exclu de théâtres réservés aux nantis. Aussi bien Mirbeau va-t-il bientôt s’engager dans le mouvement pour un théâtre populaire. D’autre part, il a compris que l’émotion n’est pas compatible avec la réflexion : il va donc désormais choisir le genre comique, fût-il grinçant, châtier les mœurs par le rire et distancier les spectateurs pour mieux toucher leur esprit.
Pierre Michel pour le compte de la S.O.M.
La pièce en livre électronique : Mauvais bergers
Les affaires sont les affaires (1903)
Chef‑d’oeuvre théâtral de Mirbeau, Les Affaires sont les affaires a été créée le 20 avril 1903 à la Comédie-Française, au terme d’une longue bataille, avec un succès qui né s’est jamais démenti lors des très nombreuses reprises de la pièce. En Allemagne et en Russie, elle a connu également un triomphe
Le Foyer (1908), sur la tartufferie des organisations de charité
Avec sa troisième grande pièce, Le Foyer, Octave Mirbeau a dû mener une bataille épique pour la faire accepter par la Maison de Molière : elle a tenu en haleine l’opinion…