Sébastien Roch (1890)
Dans ce troisième roman signé de son nom, Mirbeau transgresse un tabou majeur : celui du viol d’adolescents par des prêtres, sujet dont on n’a commencé à parler qu’un siècle après sa publication.
C’est « le roman d’un enfant », dont le génie potentiel est prématurément détruit, et qui, sain de corps et d’esprit, est irrémédiablement souillé à jamais. D’abord par l’éducation infligée par les jésuites du collège Saint-François-Xavier de Vannes (viol de l’esprit), ensuite par la séduction dont il est l’objet de la part de son maître d’études et qui aboutit au viol de son corps.
Ce double viol est symbolique du meurtre des âmes d’enfant qui se perpètre en toute impunité dans le silence des collèges religieux, avec la complicité du pouvoir politique. L’armée parachève le travail de destruction entamé par ces « pourrisseurs d’âmes » que sont les jésuites.
Tout le roman, qui nous fait percevoir le monde à travers la sensibilité du jeune Sébastien, inspire au lecteur une pitié féconde qui devrait le pousser à une remise en cause radicale des institutions sociales – à commencer par la famille et l’école – et des idéaux dont on le berne. On y sent frémir la révolte « anarchiste » du romancier contre une société homicide.
La scène du viol prend place exactement au milieu du roman. L’histoire se déroule entre 1862 et 1870. Le jeune héros,
Sébastien Roch, originaire de Normandie, est placé par son père quincaillier dans le collège réputé des jésuites de Vannes qui reçoit d’habitude la noblesse bretonne. Les préjugés de classe y sont tels que l’insertion de Sébastien y est impossible. Subissant les avanies de ses camarades, il peut tout au plus développer une amitié avec Bolorec, fils de médecin, paria comme lui. Ces éléments correspondent à la vie qu’a effectivement menée Octave Mirbeau d’octobre 1859 à juin 1863 au collège de Vannes, vie qu’il a décrite comme « un véritable enfer ».
LE DÉTOURNEMENT DE LA FONCTION ENSEIGNANTE À DES FINS DE SÉDUCTION
Le vide affectif de Sébastien Roch va être utilisé par le maître d’étude, le père de Kern, pour s’attirer l’amitié de l’enfant. Le père de Kern l’encourage dans ses vélléités de dessinateur. Même s’il se méfie instinctivement du regard et de l’attention que le père de Kern lui porte, Sébastien se laisse séduire par les attentions du père. Le père de Kern « flatta ses goûts, surexcita ses enthousiasmes » et Sébastien « s’abandonna au père de Kern, comme il s’était abandonné à tous ceux qui lui avaient parlé doucement, avec des voix charmantes et claires ». Pendant quelques semaines, ce furent des échanges intenses, des « étreintes aériennes ». Le père l’éveillait à la littérature et à la peinture pendant de longues conversations dans la cour. La méfiance instinctive de Sébastien vis-à-vis du père de Kern est pourtant récurrente : « Il éprouvait […] vis-à-vis du père de Kern, une inquiétude permanente et irraisonnée, très vague ». Sébastien Roch essaie de se raisonner face à « de vagues effrois d’un autre amour, d’un impossible et salissant amour », puis décide de boycotter le père de Kern. Mais, très rapidement, la seule compagnie de Bolorec l’ennuie et le père de Kern lui manque. Un jour, à la promenade, Sébastien demande pardon au père d’avoir été méchant avec lui et leur relation reprend. Le père de Kern continue alors son éducation, lui parle du péché avec des accents désirables et se laisse aller à des confidences déplacées. Il témoigne de sa jalousie et de ses fantasmes sur l’ancien lien qu’il y a eu entre Sébastien et un des collégiens. Il lui parle aussi des turpitudes de sa propre famille et lui raconte avoir été « lui-même perverti, au collège, par un camarade qu’il aimait ! ». « Le moment – écrit Octave Mirbeau – était bien choisi pour le viol d’une âme délicate et passionnée ». Toute l’éducation des jésuites est assimilée à un viol des âmes dans le roman, mais cette fois, il s’agit d’un viol effectif que le narrateur assimile au meurtre d’une âme d’enfant. La veille du pèlerinage annuel à Sainte-Anne d’Auray, le père de Kern va au dortoir chercher Sébastien qui le suit, malgré de fortes hésitations et des implorations, jusqu’à sa chambre. Le père lui demande de ne pas faire de bruit et de se calmer. Il réclame sa confiance et lui promet de l’amener souvent ici, de lui lire des vers et de lui raconter des légendes historiques.
Octave Mirbeau décrit le viol du jeune garçon avec beaucoup de pudeur, l’acte lui-même étant contenu dans une ellipse :« Malgré son trouble, Sébastien ne pouvait s’empêcher de remarquer malicieusement que cette piété exaltée, que ces ardentes extases divines s’accordaient difficilement avec le plaisir, plus laïque, de fumer des cigarettes et de boire des verres de liqueur. Et l’agitation insolite du Père, le frôlement de ses jambes, cette main surtout, l’inquiéta. Cette main courait sur son corps, d’abord effleurante et timide, ensuite impatiente et hardie. Elle tâtonnait, enlaçait, étreignait. .….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….….… Maintenant Sébastien était au bord du lit, à moitié dévêtu, les jambes pendantes, anéanti, seul… ». L’accomplissement du viol se situe dans cette ellipse, au milieu du roman.
Voir à ce sujet : règlement de compte avec les « pourisseurs d’âmes »
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