Octave Mirbeau
Dramaturge, écrivain, journaliste
Octave Mirbeau, né le 16 février 1848 à Trévières (Calvados) et mort le 16 février 1917 à Paris, est un écrivain, critique d’art et journaliste français. Il connut une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant également apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques, ce qui n’est pas commun.
Journaliste influent et fort bien rémunéré, critique d’art défenseur des avant-gardes, pamphlétaire redouté, Octave Mirbeau est aussi un romancier novateur, qui a contribué à l’évolution du genre romanesque, et un dramaturge, à la fois classique et moderne, qui a triomphé sur toutes les grandes scènes du monde. Mais, après sa mort, il traverse pendant un demi-siècle une période de purgatoire : il est visiblement trop dérangeant pour la classe dirigeante, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social.
Un écrivain engagé
Octave Mirbeau est le type même de l’écrivain engagé : il a participé pendant plus de quarante ans à toutes les luttes de la cité et il a toujours mis sa plume incomparable au service des causes qu’il a embrassées. Le pamphlet, la chronique, le conte, la critique d’art, la farce, le roman, la grande comédie de mœurs et de caractères, sont autant de moyens de faire passer dans le grand public les idées qui lui tiennent à cœur et de promouvoir les valeurs sans lesquel les la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.
Pour des générations de jeunes gens et de prolétaires des villes et des campagnes, Mirbeau est apparu comme un justicier qui, selon le mot de Zola, avait « donné son cœur aux misérables et aux souffrants de ce monde ». Pourtant il lui a fallu de longs tâtonnements, et bien des compromissions, avant de jouer ce rôle de « Don Quichotte » et de redresseur de torts. Car, avant de pouvoir voler de ses propres ailes, il a dû, pendant une douzaine d’années, prostituer sa plume et se vendre à la réaction.
Au service de la réaction
Prolétaire de la plume obligé de vendre son talent à ceux qui avaient les moyens de se l’offrir, il a dû, tour à tour ou simultanément :
- faire le domestique : secrétaire particulier de Dugué de la Fauconnerie et d’Arthur Meyer, il a rédigé pour eux des lettres, privées ou publiques, des éditoriaux politiques ou des brochures de propagande bonapartiste;
- faire le trottoir : chroniqueur à gages dans la presse conservatrice, bonapartiste (L’Ordre de Paris et L’Ariégeois), puis monarchiste (Le Gaulois et Paris Journal), il lui a fallu se soumettre aux diktats de ses directeurs successifs, et il y a vu, dès 1883, une forme de prostitution;
- faire le « nègre » : il a composé, moyennant finances, plus d’une dizaine de volumes pour des personnes riches et avides de notoriété littéraire.
Pendant toutes ces années où il lui a fallu faire ses gammes et ses preuves, de 1872 à 1884, Mirbeau n’a donc pas été son propre maître et a dû servir – « mécaniquement », écrira-t-il dans Un Gentilhomme — des causes qui n’étaient pas les siennes. Il en a conçu un torturant sentiment de culpabilité — surtout pour ses articles antisémites des Grimaces (1883) — et, dès son retour d’Audierne, à l’automne 1884, il a entamé une difficile rédemption.
L’étude des centaines d’articles, le plus souvent anonymes, ou signés de pseudonymes, qu’il a rédigés pendant ces douze années de prolétariat pas comme les autres, révèle que, bien souvent, tout en servant ses maîtres, il a tenté de faire coïncider ses écrits avec ses propres idées :
- Ainsi, dans L’Ordre bonapartiste, il se fait le défenseur des « petits » – ouvriers, paysans, chômeurs, instituteurs — et donne du parti impérialiste une image populiste, voire de gauche, n’hésitant pas, en 1877, à parler de « socialisme ».
- Dans Le Gaulois légitimiste et mondain, il critique la charité, préconise la justice sociale et proclame le droit au travail et au pain (il manifeste même aux côtés de Kropotkine et de Louise Michel).
- Dans les fameuses Grimaces antirépublicaines (et aussi, hélas ! antisémites), il fait de la politique opportuniste une critique de gauche, qui le rapproche des radicaux (extrême gauche parlementaire de l’époque), et, comme les anarchistes, il rêve du grand soir qui mettra un terme à la pourriture de la société.
Bref, tout en servant officiellement la réaction, il essaie tant bien que mal de faire passer dans son lectorat le souci de la justice sociale.
Octave Mirbeau anarchiste
À partir du « grand tournant » de 1884–1885, Mirbeau se rallie progressivement aux thèses libertaires et renoue avec la révolte de sa jeunesse, dont témoignent ses Lettres à Alfred Bansard des Bois. Farouchement individualiste et attaché à défendre les droits imprescriptibles de l’individu — à commencer par l’enfant -, il voit dans l’État l’ennemi numéro un et souhaite « le réduire à son minimum de malfaisance ». En effet, au lieu de permettre à chacun d’épanouir ses potentialités, l’État « assassin et voleur » n’a de cesse de réduire l’homme à l’état de « croupissante larve » malléable et corvéable à merci, pour le plus grand profit de tous « les mauvais bergers » : patrons, politiciens, magistrats, militaires, enseignants…
Désireux d’ouvrir les yeux de toutes les victimes de cette déshumanisation programmée, il s’emploie donc à arracher le masque de respectabilité des « honnêtes gens » et à mettre à nu les institutions oppressives :
- La famille, lieu d’enfermement et d’oppression, lieu où l’on conditionne l’enfant et où on lui transmet, de génération en génération – « legs fatal » –, des modèles de comportement et des idées toutes faites.
- L’école, où on le gave de connaissances inutiles et où l’on comprime les besoins de son corps et de son esprit : cf réglement de compte avec les « pourisseurs d’âmes »
- L’Église, qui inculque des « superstitions abominables » et qui inocule le « poison » de la culpabilité.
- L’armée, qui traite les jeunes gens comme du bétail ou de la chair à canon. . L’usine, où l’on surexploite des hordes d’hommes réduits à l’esclavage salarié, avant de les mettre au rebut quand ils ne sont plus bons à rien (Les Mauvais bergers).
- La « Justice », servile devant les puissants, mais implacable aux pauvres et aux démunis.
- La finance, qui permet à des escrocs tels qu’Isidore Lechat de voler impunément des milliards et d’affamer des milliers de misérables (cf. Les Affaires sont les affaires).
- Le système parlementaire, qui permet à des démagogues sans scrupules d’anesthésier le bon peuple et de se remplir les poches « en crochetant les caisses de l’État ». Dès lors, le suffrage universel est une « duperie », et Mirbeau appelle logiquement à « la grève des électeurs ».
- Le colonialisme, qui au nom du « progrès » et de la « civilisation », détruit des cultures millénaires, réduit des peuples en esclavage et transforme des continents entiers en effrayants « jardins des supplices ».
Toute l’oeuvre de Mirbeau constitue donc une entreprise de démystification ou de déconditionnement, dans l’espoir de redonner à ses lecteurs une dignité et une conscience sans lesquelles aucune émancipation sociale ne serait concevable. Certes, il n’y croit guère, car il est conscient de l’aliénation idéologique des classes dominées (cf. Le Journal d’une femme de chambre). Mais il n’a jamais eu besoin d’espérer pour entreprendre, et il n’a jamais cessé de se battre pour autant en faveur de tous les opprimés et de tous les sans-voix.
Mirbeau ne s’est pas contenté d’une propagande par le verbe, il s’est aussi mêlé à toutes les grandes batailles de l’époque :
- contre le boulangisme (1886–1890);
- contre les expéditions coloniales (notamment au Tonkin et à Madagascar);
- contre les « lois scélérates » liberticides (1894);
- pour une école libertaire;
- pour Dreyfus, pour la Vérité et la Justice (1897–1899);
- contre la politique nataliste;
- contre le danger clérical, pour la laïcité et la séparation des Églises et de l’État;
- pour le soutien à la révolution russe de 1905;
- pour la paix et pour l’amitié franco-allemande ;
- contre la peine de mort;
- pour les antimilitaristes et les syndicalistes emprisonnés.
Aux côtés des socialistes
Après avoir oeuvré plus que tout autre à la défense et illustration de l’idéal anarchiste, Mirbeau n’en a pas moins fait un bout de chemin aux côtés des socialistes « collectivistes », en qui il ne voyait naguère que des bureaucrates niveleurs et liberticides.
Il lui a fallu l’affaire Dreyfus pour comprendre que les groupes libertaires étaient trop divisés et trop faiblement organisés pour peser dans le rapport de force entre les classes sociales. Il a aussi découvert en Jaurès un humaniste, soucieux d’alléger au plus vite la souffrance des exploités sans attendre le grand soir. Aussi, tout en restant anarchiste de caur jusqu’à sa mort, il n’en a pas moins accepté, par souci d’efficacité, de collaborer à L’Humanité de Jaurès dès sa fondation, en avril 1904. Mais il s’est retiré six mois plus tard lorsque la politique politicienne et partidaire lui a paru prendre le pas sur la lutte pour des réformes immédiates. Il n’en a pas moins compté sur Jaurès pour faire adopter des lois moins inhumaines.
Homme libre, Mirbeau n’a jamais voulu adhérer à aucun parti, ni à aucun groupe de pression. Mais, soucieux de réalisme, il a toujours essayé d’entretenir des relations de sympathie avec quelques hommes politiques susceptibles de relayer son action au parlement ou au gouvernement : Jaurès, bien sûr, mais aussi Clemenceau et Aristide Briand qui, arrivés au pouvoir, décevront son attente et qu’il ne manquera pas de stigmatiser. Il incarne parfaitement l’intellectuel dreyfusard.
Mirbeau dreyfusard
Octave Mirbeau est un des grands combattants de l’Affaire. Mais son rôle a été longtemps occulté ou sous-estimé. Il est grand temps de rendre tardivement justice au justicier. Voir l’article consacré à ce sujet.
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Au sujet de : La grève des électeurs
Mirbeau est un contempteur du suffrage universel et du système des élections, parce qu’il n’y voit qu’une duperie. Anarchiste conséquent, il conteste radicalement la démocratie représentative et…
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Dans cet article intitulé « Souvenirs » publié dans le journal L’Aurore le 22 août 1898, en plein Affaire Dreyfus, Octave Mirbeau établit un lien entre le mensonge de l’État Major et l’éducation…
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